Une AVS qui ose s'exprimer
Vous ne pourrez pas rester indifférents à ce texte. j'espère qu'il vous fera réagir... pour prendre conscience ou pour agir... Chloé est une amie. Nous avons été AVS ensemble. Je crois pouvoir dire que notre expérience en collège nous a au moins permis à chacune une indignation constructive, une indignation qui nous a poussé à agir. Pour ma part, dans la création de ce blog. Chloé dans la mise en place d'un projet d'école qui lui trottait déjà dans la tête depuis longtemps. Mais elle a aussi et surtout eu le courage d'exprimer son ressenti suite à cette expérience, dans une lettre qu'elle a adressée à toutes les personnes concernées par cet établissement.
Elle a envoyé cette lettre au Recteur, au Directeur des services départementaux de l'Education Nationale, à tout le personnel administratif et enseignant du collège, à l'association des parents d'élèves. J'admire son courage. Car, au sein d'un système, quel qu'il soit, il en faut pour oser parler ou dénoncer des dysfonctionnements, sans risquer le lynchage. Son but est sain : réveiller les consciences adultes.
Bilan ? Aucune réaction bien sûr. Pourtant, ce qui est décrit dans cette lettre n'est pas une exception, bien au contraire. Le système doit changer, et les seuls à pouvoir le faire sont les principaux de collège, les proviseurs de lycée, et leurs équipes d'enseignants. Certains sont déjà dans une prise de conscience et dans le changement. C'est donc possible !
J'ai personnellement choisi de supprimer les noms et lieux, car en aucun cas, le but de ce blog n'est de dénoncer des personnes, mais de montrer qu'il est possible de penser autrement, de changer ses habitudes et d'agir pour le bien des adultes et des élèves.
Agir autrement, c'est aussi admettre que l'on fait des erreurs et accepter de se remettre en question. Et contrairement à ce que de nombreux adultes pensent, ce n'est pas si compliqué à faire.
Voici la lettre :
J’ai été AVS pendant deux ans et j’ai décidé en juin dernier de ne pas repartir pour une troisième année. Avec la distance, le constat que je fais de ma fonction, ainsi que du fonctionnement interne du collège, me désole. Au-delà de l’esclavage financier mêlé de non reconnaissance du métier d’AVS, j’ai décidé d’arrêter parce que je n’étais plus en accord avec l’Education Nationale.
J’écris cette lettre pour témoigner d’un dysfonctionnement global au sein du collège. J’ai pu constater que la violence y était banalisée et intégrée par la majorité des enfants et adultes. Un état de souffrance renforcé par la contrainte spatiale et temporelle, par l’obligation de travailler.
Je souhaite clôturer mon expérience en exprimant ce que j’ai vu et entendu au collège :
les élèves disposent d’un peu plus de trois minutes par jour pour aller aux toilettes. Faites le calcul : 1heure30 de pause + 2 récréations + 3 interclasses soit 8100 secondes ÷ 260 élèves ÷ 6 toilettes. Pour les adultes, entre la salle des profs et les toilettes du rez de chaussée, trois toilettes pour une trentaine de personnes. Un détail ?
On exige de l’élève qu’il soit parfait 30 heures par semaine. Un ¾ temps ! Et sans compter le travail imposé à la maison… Être parfait dans ce collège, c’est rester assis toute la journée - sans faire un bruit - avec obligation de se passionner stoïquement pour ce qui est imposé par l’adulte. Travaillez ! Sinon c’est la fiche de suivi, les croix dans le carnet, les punitions, les exclusions de cours en veux-tu en voilà, les heures de colle, les rapports des professeurs, les bulletins d’alerte, les conseils de discipline….
Contrairement à ce que j’ai entendu répéter obstinément en salle des professeurs, les élèves ne sont pas feignants : ils s’ennuient. Les enfants se le disent, me l’ont dit et ont parfois tenté de le dire aux professeurs «Mais à quoi va nous servir cette leçon dans la vie ?! » ou encore « - C’est chiant les cours de …… . - Tu me copieras 50 fois c’est chiant les cours de… pour lundi. »
Quand les profs ont le dos tourné, j’ai observé des mots qui s’échangent, des mains qui fabriquent, s’occupent, dessinent et des yeux qui regardent dehors…. Deux enfants devant moi pendant un cours regardent les hommes d’entretien démontant des casiers à la visseuse. L’un dit –« J’ai tellement envie d’aller les aider. » L’autre lui répond –« Faut faire des bêtises, style jeter des papiers par terre et tu seras mis dehors… » Selon un certain nombre de professeurs du collège, l’enfant est un « manipulateur, un feignant », parfois même « un con » ou « c’est du niveau psychiatrique, on ne peut rien pour lui ». On doit se méfier de « trop vouloir le comprendre » car »on n’est pas là pour faire de la psychologie ». Quelques phrases récoltées au cours de ces deux années : « J’ai 5 anormaux dans la classe ! Comment je fais-moi ?! » « Tu es abonné à tout ce qu’il ne faut pas faire » « Vous me filez la migraine » « Je vais t’attacher à ta chaise » « Tu me gaves » « Je suis de mauvaise humeur à cause de vous » « Vous me désespérez »... « Petit con » de la part des surveillants n’est pas passé dans l’oreille d’un sourd non plus. Et les hurlements du Principal dans son bureau jusqu’à faire pleurer les enfants qui en sortent font aussi partie de la vie du collège.
Où est la justice dans tout cela ? Où est le respect tant exigé et qui devrait être mutuel ?
Ce constat alarmant de violence ordinaire et de souffrance banalisée j’en ai parlé maintes fois à mes supérieurs hiérarchiques : à la référente de scolarisation, à la CPE et au Principal qui eux confirment de leurs mots « le collège broie », « fait du mal ». Et puis la vie du collège continue, et continue surtout de remplir la façade de l’ENT pour montrer qu’il s’en passe des choses au collège : des revues de presse sur les manifestations et concours, les projets autour du patrimoine et de la culture, les actions du CESC…Quelle jolie peinture de façade ! Manière habile de se disperser et d’éloigner les sujets de fond.
Concernée par le climat scolaire, avec la CPE je m’étais impliquée pour la venue d’une formatrice certifiée en communication non violente pour former le personnel éducatif. Une semaine avant sa venue la formation a été supprimée : Annulation pour manque de participants. Nous étions 9 inscrits sur la liste. Et remplacée une heure après par la formation Tablette numérique.
L’outil technologique c’est l’avenir ! Au détriment de la communication et de la relation.
Plus le temps a passé et plus ma mission d’accompagner l’élève dans sa scolarité, de le recentrer à la tâche, de m’adapter à ce qu’on lui demande m’est apparue dénuée de sens.
En parallèle j’ai mis en place des heures de suivi personnalisé avec les élèves « dys » ainsi que la création de cercles de paroles sur la demande d’élèves de 3ème. Formée en communication non violente et en sophrologie j’ai tenté l’aventure. Les heures personnalisées se sont multipliées et les cercles ont grandi… la communication, la confiance, l’enthousiasme et le respect mutuel aussi.
Durant ces heures et les cercles de paroles j’ai entendu ce qui les anime et les questionne : l’envie et la curiosité d’apprendre sur le monde, la justice, les relations aux autres, la puberté et la sexualité, leur identité et le sens de la vie…
Aujourd’hui, je suis convaincue que ce sont les adultes et leurs programmes qui sont inadaptés à la réalité des enfants. Les buts que se fixe l’Education Nationale sont loin de répondre aux besoins des enfants. Les problèmes ne viennent pas des élèves « dys en tout genre », élèves blasés ou irrespectueux.
La réécriture du règlement intérieur pour une cohérence des sanctions a fini de m’exaspérer. Objet unique de la réunion bilan de juin dernier : la sanction ! Quel débat !
Quand la majorité des professeurs ne prend pas deux minutes en début de cours pour dire « Bonjour » aux enfants et leur demander « Comment ça va ? »….
Bien des écarts de discipline pourraient être évités si une bienveillance quotidienne s’installait réellement dans un établissement. Où est notre remise en question dans les bilans d’équipe ? Et notre bon sens ? Et notre humanité ?!!
Soyons honnêtes, sommes-nous si exemplaires pour reprocher aux enfants et adolescents leurs comportements ? Quand considérerons-nous notre attitude envers l’enfant comme un facteur influençant son état d’être à l’école et dans sa vie ?
Je ne peux cautionner de passer à côté, non seulement de la réussite des élèves mais aussi à côté de la vie des enfants. De leur respect global, de leur épanouissement, de leur joie et de leur liberté. Ces enfants qui sont les hommes et les femmes de demain.
Chloé