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Les leçons de Blanche

Voici un nouvel article qui nous vient de l'autre côté de l'Atlantique. Mylène Moisan, journaliste québecoise pour le média LE SOLEIL, m'a très gentiment proposé de diffuser plusieurs de ses articles relatifs à la scolarité. Le premier concernait "le prof qui a triché".  Ce nouvel article raconte l'histoire de Blanche, institutrice retraitée, passionnée par sa relation aux élèves.

Cet article, paru il y a un an au Québec, est une interview réalisée auprès de Blanche, institutrice retraitée âgée de 96 ans. « Les garçons étaient debout sur leurs chaises, ça criait, ça tirait des brosses. J'étais la troisième professeure qu'on envoyait dans cette classe de sixième, pour essayer d'en venir à bout. J'avais deux options : soit je criais plus fort qu'eux et je me rendais ridicule, soit je trouvais une autre façon. » Voici ce qu'elle a trouvé : «J'ai pris un livre, j'ai lu. Après un bout de temps, ça s'était calmé un peu, mais ça criait encore. Je me suis levée, je leur ai dit "c'est dommage, j'étais contente de vous voir, on aurait pu être heureux. On aurait appris des choses" et je suis partie. Je suis allée à la salle des professeurs.».

Un élève est venu la chercher par la main, littéralement. «Il m'a dit, "madame, on veut vous avoir".» Et ils ont fait une belle année.

Des histoires comme ça, Blanche Gilbert-Demers en a des dizaines à raconter. Je l'ai rencontrée cette semaine chez elle, dans l'appartement qu'elle habite depuis 1964. La dame a 96 ans.

Blanche avait 24 ans lorsqu'elle est devenue institutrice, presque par hasard. Un ami de la famille lui a proposé d'enseigner, elle s'est dit pourquoi pas. «Au début, j'étais trop sévère. Je disais "va à ta place, assis-toi, tais-toi".» En parlant, elle frappe sur sa table de bois. «Bang, bang.»

Elle a vite compris que ça ne marchait pas. «Je me suis dit que je devais commencer par m'interroger moi-même. Mon père était un colonel de l'armée, la méthode autoritaire, c'est la seule que j'avais connue. Il me fallait trouver une façon d'enseigner sans chicaner sans arrêt les enfants. Je voulais les valoriser.»

C'était avant les manuels de pédagogie moderne.

C'était dans les années 40 et 50, les sœurs à cornettes venaient encore remettre les bulletins dans les écoles.

Blanche a suivi son pif, elle parle de «gros bon sens». C'est plus que ça. Blanche aimait les enfants comme s'ils étaient les siens, elle n'en a jamais eu. «L'école, c'est le prolongement de la famille. Il faut faire passer l'enfant avant toi-même. Il n'y a pas juste le côté académique, il faut lui donner le goût d'apprendre.»

Comme ce gars-là, en cinquième année B. «Au premier cours, il tapait son étui à crayons sur son bureau pendant que je parlais. Toc, toc, toc, il n'arrêtait pas. Je me suis demandé comment je pouvais le faire réfléchir, au lieu de le punir. Je lui ai demandé d'aller faire une commission chez le directeur et, pendant qu'il était parti, j'ai dit aux autres élèves «votre copain, il n'est pas méchant, il a peut-être un problème, peut-être de la peine.»

Sa mère était morte pendant l'été.

Le gars était révolté, il cassait des vitres de l'école, la police devait parfois le rappeler à l'ordre. Blanche a fait un pacte avec la classe. «On va l'aider, et vous allez m'aider. Vous allez lui donner des responsabilités, moi aussi.»

Blanche et les autres élèves l'ont pris en main, à son insu. Il est entré dans le rang, a réussi ses examens. À la fin de l'année, Blanche a demandé aux élèves de rédiger une dernière composition, sur les vacances. Le gars a écrit ça : «j'ai eu une bonne institutrice et un bon directeur. [...] C'est ma plus belle année scolaire. L'an prochain, je voudrais passer une autre bonne année.»

Elle a été moins bonne. «J'ai appris qu'il a fini par décrocher.»

Dans une boîte en métal noir, de la grosseur d'une boîte à souliers, Blanche conserve précieusement ses papiers importants. À l'intérieur, une douzaine d'enveloppes blanches, identifiées par leur contenu. Elle a ouvert la boîte, a sorti une enveloppe marquée d'un seul mot : «souvenirs». Elle a sorti la composition de l'élève, me l'a tendue. «Je l'ai toujours gardée.»

Elle se souvient aussi de cet autre élève, qui faisait une faute aux trois mots. «Dans sa première composition, il a fait 18 fautes. Je lui ai dit, pour qu'il s'améliore, "on va arrêter de compter les fautes, on va compter les fautes en moins". Ça l'encourageait. Dans sa dernière composition, il a fait trois fautes.»

Une dernière histoire, ma préférée. «Un jour, une mère m'appelle pour me dire que, si son garçon boude, s'il est renfrogné, c'est parce qu'il s'imagine qu'il n'est pas aimé, parce qu'elle ne l'a pas porté, parce qu'il est adopté.»

Blanche a eu une idée. «Dans ma catéchèse, j'ai expliqué aux élèves qu'il y avait deux façons de porter un enfant, dans son sein et dans son cœur. Le petit gars me regardait avec de grands yeux. Il s'est levé d'un bond et il s'est exclamé : "moi aussi, ma mère m'a porté, elle m'a porté dans son cœur !"»

Le petit gars n'a plus jamais boudé. «Il s'est senti désiré. Qu'est-ce que c'est de rendre un enfant heureux?»

C'est toute la différence du monde. «Quand on enseigne aux enfants, il faut tout d'abord établir un contact. Il faut les écouter, les valoriser. Il faut leur dire "Ce n'est pas toi, ça, tu es plus fin que ça, tu peux faire de grandes choses."»

Leur tendre la main, plutôt que leur taper sur les doigts.

Merci à Mylène Moisan pour cet article touchant. A travers cette expérience, peut-être que vous trouverez l'inspiration pour réfléchir à vos impératifs. Quel est le plus important ? Donner des notes ou accompagner un enfant ? Le punir parce qu'il n'écoute pas ou comprendre pourquoi il n'écoute pas ? 

Bien sûr, tout le monde n'a pas les clés pour agir de la sorte. Une chose pourtant est sûre, nous pouvons tous faire des erreurs. C'est humain. Mais, à n'importe quel moment, il est également possible de changer. Et contrairement à ce que beaucoup d'adultes peuvent croire, ce n'est pas si compliqué. Et le résultat est tellement plus agréable. Recevoir de la reconnaissance de la part des enfants est source de bien-être. Etonnant, non ? 

Partagez votre expérience ou vos idées pour gérer les conflits dans une classe ou soutenir un élève en difficulté. Elle peut servir à d'autres enseignants qui ne trouvent plus de solutions au chahut ou au décrochage.  

Voici le lien vers l'article ici

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